Note du Traducteur :

En traduisant « Voyage d’une Rose Musquée » en anglais, j’ai fait de mon mieux pour préserver la richesse et le lyrisme inhérent au style d’écriture du Docteur Dahesh – élément essentiel pour en capturer les nuances qui ne peuvent réellement être appréciées qu’en lisant la version arabe.

Cette histoire véritablement incroyable a été originellement publiée dans « Contes Etranges et Merveilleuses Légendes » Tome II. Il est utile de mentionner que le 21 Janvier 1979 à 8 heures du matin, heure locale de Beyrouth, le Docteur Dahesh a écrit ce qui suit en premières lignes d’introduction à son livre :

« Les histoires dans lesquelles j’ai mentionné des faits de réincarnation ne sont pas imaginaires. »

 

Voyage d’une Rose musquée
Par le Docteur Dahesh

Traduite de l'anglais par Sandrine Altchoukian
Illustrations Originales de Mario Henri Chakkour

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Le Premier Jour de Mon Etrange Voyage

Je suis une rose musquée tombée de la main d’une belle et tendre jeune femme alors qu’elle humait mon parfum odorant tout en se tenant proche de son jeune fiancé à bord d’un bateau en partance pour l’Amérique. Aussitôt que je fus tombée, la jeune femme se lamenta et dit à son fiancé :

 « Ceci est un mauvais présage. La nuit dernière, j’ai rêvé que le bateau était coulé par un violent orage et je me voyais noyée dans les eaux déchaînées, et tu m’enserrais. Et lorsque je me suis réveillée cette idée me hanta, je devins agitée, et la peur m’enveloppa de ses épouvantables horreurs. Et quand la rose glissa de ma main je devins pessimiste …et je suis effrayée, mon cher bien-aimé, par ce voyage. Si seulement nous pouvions descendre de ce bateau avant son départ. »

Son fiancé lui répondit:

« Allège-toi ma bien-aimée, car tes rêves sont un amas de rêves sans valeur. Une personne rêve de beaucoup de choses. Et si chaque humain interprétait son rêve selon ce qu’il s’imagine, alors la vie deviendrait un insoutenable lourd  fardeau. Par ailleurs, ils viennent juste de relever l’ancre et le bateau commence à cheminer vers la pleine mer. De ce fait, nous ne pouvons plus descendre, et s’il en fût autrement j’aurais réalisé ton souhait que je considère sacré. »

«Alors sois assurée, oh toi qui m’es plus chère que ma propre âme et cesse de t’accrocher à de trompeuses illusions. A cette occasion, je te rappelle le célèbre proverbe qui dit ceci :

Et la mort viendra à vous même si vous êtes dans des châteaux fortifiés. »

Par conséquent, aucun être humain ne peut échapper au filet de la mort si son heure est venue.

Et lorsque le bateau bougea, ce fut à mon tour, la rose, d’ondoyer sur la surface de la mer,  m’éloignant du bateau qui transportait les passagers, parmi lesquels figuraient les deux fiancés amoureux Hector le brave et Doris la belle.

Extraordinaires Visions

Mon parcours était dicté par les vagues qui se jouaient de moi. Un instant, elles me poussaient de l’avant, alors qu’à un autre elles me tiraient vers l’arrière ; parfois, je me trouvais bousculée vers la droite et à d’autres moments vers la gauche.

Et  mon voyage dura pour des heures interminables sans que je puisse voir autre chose que la mer et le ciel.

Le soleil commençait à se coucher. Petit à petit, l’obscurité commença à étendre son manteau sur le puissant océan… et elle ne tarda pas à envahir les cieux de ses armées délirantes, dominant de sa suprême noirceur, car tout était désormais plongé dans le noir et le seul son qui pouvait être entendu était celui du battement des puissantes vagues dans l’immobilité de l’époustouflante nuit.

Les vagues me portaient : à peine avais-je atteint leur sommet qu’elles me descendaient à la surface de l'extraordinairement grand océan dont l’étendue est illimitée.

Et les étoiles qui s’étalaient sur le firmament l’enflammaient de leur scintillante brillance, et j’étais hypnotisée par leur merveilleux éclat, et donc je contemplais ces planètes lumineuses tout en glorifiant leur créateur, celui qui les avaient faites et conçues.

Et une douce brise tempérait le climat – un climat de printemps – et me chatouillait de sa délicatesse avec laquelle j’étais heureuse.

Et soudainement, un poisson avec un corps rectangulaire passa près de moi, et près de lui, un poisson avec un corps plus gros – bien que de la même espèce. Alors je sus qu’ils étaient un mâle et une femelle. Donc, c’étaient des amoureux.

Et la femelle s’approcha et m’attira dans sa bouche, et je fus submergée, et elle essaya de me dévorer, cependant et soudainement, elle me relâcha car il y avait une épine oblongue sur ma tige avec laquelle elle se piqua, alors elle choisit de fuir et son amoureux était derrière elle, alors je remerciai Dieu pour avoir échappé à un terrible sort.

Et je continuai mon chemin dans cette nuit noire, et rien que l’eau et le ciel. Puis un banc de poissons passa … et j’entendis un poisson parler à un autre et lui dire :

« Tu m’as trahi ; je t’ai vu aujourd’hui séduire quelqu’un d’autre que moi, alors sois prête pour la punition que je vais abattre sur toi. »

Et il l’attaqua, et son assaut fut brutal, alors elle tenta de s’échapper, mais il l’accabla et n’arrêta pas de la cogner de son corps avec grande force et fureur, elle fut renversée puis rendit son dernier souffle, et les poissons grouillaient autour d’elle et la dévorèrent. Et mon étonnement fut grand lorsque je vis son meurtrier participer avec le banc de poissons à la dévorer. Alors je me dis à moi-même :

« Comme c’est étrange ! Les poissons font ce que font les humains, et j’étais totalement ignorant de ce fait. »

Et je continuai le long de l’immensité de l’océan majestueux, puis je sentis un profond sommeil m’envahir, je m’abandonnai donc à son emprise irrésistible.

 Le Second Jour de Mon Merveilleux Voyage

Lorsque je me réveillais, le soleil déployait sa souveraineté sur la mer dont les distances étaient étendues. Et je ne voyais aucun oiseau dans le ciel, et je ne voyais aucun lopin de terre – et d’aussi loin que la vision peut s’étendre, la mer était la seule chose que je voyais, elle et elle seule.

Et mon parcours persista pour des heures et des heures, avec seulement l’eau et le ciel pour accompagner ma solitude.

Et parfois, je voyais différentes sortes de poissons variant en taille et forme, et les plus gros d'entre eux dévoraient les petits.

Et dans mon voisinage, un très imposant banc de poissons – estimé à des dizaines de milliers – passa, et il nageait à une très grande vitesse qui me stupéfia.

Et soudainement, une colossale baleine apparut, et elle les pourchassait, alors je compris la raison pour laquelle ils allaient si vite, car ils étaient terrifiés d’être chassés par la puissante baleine.

Et elle ouvrit béante son horrifique bouche et dévora cette énorme masse de poissons fuyants, avalant avec elle une quantité prodigieuse d’eau. Puis je vis une gigantesque fontaine d’eau propulsée de deux orifices sur la tête de cette baleine, et l’eau s’élevait avec puissance et fureur vers le haut, et c’était une cascade au fort débit.

Elle garda les poissons à l’intérieur et rejeta l’eau pour laquelle elle n’avait pas de besoin. Et j’avais une respectueuse crainte pour sa terrifiante immensité.

Et il ne me fallut pas longtemps pour voir une autre baleine qui apparut à proximité de la puissante baleine, cependant pas aussi immense. Alors je sus que c’était sa femelle.

Et j’entendis le mâle converser avec elle, lui disant :

« Est-ce que tu me suis toujours à la trace ?! Car où que j’aille je te trouve à proximité de moi. »

« C’est comme tu le dis. Ne serait-ce à cause de mon amour pour toi, je ne t’aurais jamais poursuivi. Car tu es jeune d’âge et dans la fleur de tes forces. Alors comment pourrais-je savoir que tu ne vas pas en charmer une autre que moi, et cela me met dans un état de pure folie. »

« Sois raisonnable, et certaine que je ne t’échangerai jamais pour une autre même si Poséidon m’ordonnait en ce sens, alors sois rassurée. »

Et l’obscurité commença à étendre petit à petit son manteau sur les alentours, et je bougeais sans but et soumise aux désirs des eaux mouvantes, puis la tombée de la nuit se mit en marche avec ses armées titanesques, et la ténébreuse noirceur immergea l’immense océan. Et soudainement, une éblouissante lumière brilla dans le ciel, illuminant la mer comme si le soleil s’était levé.

Et cette lumière qui dissipe les ténèbres s’approcha, puis un corps en mouvement descendit de l’espace, puis il tomba avec une miraculeuse légèreté et rapidité, et il s’avéra être comme une soucoupe volante avec sa parfaite rondeur. Et son diamètre était de quarante mètres. Et l’on pouvait entendre le léger ronronnement de ses moteurs, et le ronronnement était musical. Et des fenêtres occupaient sa circonférence. Et je vis à travers la vitre de ces fenêtres des hommes de la taille d’un crayon à papier et leur couleur était bleue, et ils allaient et venaient constamment.

Et soudainement une lumière orange se déploya, couvrant une zone de la mer, puis je vis des régiments et des régiments de différentes sortes de poissons remplir cette zone couverte par la lumière orange. Et une boîte de métal, de pas moins de trente mètres de longueur, ronde comme un tonneau, se déplia. Et les poissons étaient soulevés vers cette boîte par une  invisible et puissante force et par une insoupçonnable main, et ils grouillaient dans cette boîte métallique, entrant dans la cavité de la soucoupe qui était perchée sur l’eau, jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’intérieur du vaisseau.

Et je m’approchai de cette soucoupe jusqu’à ce que je me cogne contre son bord ; c’est alors que je vis des femmes grandes comme des crayons et leur couleur était bleue, et leur teinte bleue était parsemée de rayures rouges.

Et elles discutaient entre elles, alors j’aiguisais mon ouïe, et voici ce que l’une d’entre elle disait :

« La mer des fils de la Terre ne ressemble pas à notre mer, car toute créature pourrait marcher sur la surface de notre mer sans se noyer, alors que dans le cas de leur mer, nul ne peut marcher dessus car la mort sera son lot.

Et Borbalion, l’Empereur de notre planète – celui dont la parole est obéie – nous a ordonné de lui rapporter une quantité de poissons terrestres afin qu’il voit s’ils sont capables de survivre dans notre Planète qui est profondément ancrée dans le domaine inexploré de l’espace. »

Et sa compagne lui répondit :

« Notre voyage a duré trois années lumière jusqu’à ce que nous atteignions Planète Terre, et nous avons encore besoin de trois années afin de retourner dans notre planète, toutefois, premièrement, nous devons sillonner tout le Japon et l’Amérique et la Chine et le territoire Afghan, ainsi que l’Allemagne et l’Espagne et Paris, afin que nous présentions à notre grand empereur notre rapport sur l’état des habitants de la Terre et sur leurs tendances, et comment ils construisent leurs maisons, et les formes de transport qu’ils ont réussi à inventer, et quelle est leur vitesse maximum. Et nous sommes donc tenus de présenter une explication approfondie de la vie de la femme et de l’homme, et des connaissances que l’humanité a été capable d’acquérir, et à combien s’étend la durée de la vie des habitants de la Terre. Nos informations que nous avons obtenues, et que notre rapport a notées, confirment que quelle que soit la durée de vie des fils de la Terre, leur durée de vie ne peut excéder une centaine d’années, et cela même n’est atteint que par un rare nombre des personnes âgées.

La vie sur notre planète, en revanche, s’étend à mille ans, et cela est proportionnel à son système et aux conditions naturelles qui y sont présentes. »

Et elle continua en disant :

« Et toi ma sœur sache que si jamais notre vaisseau cosmique était frappé d’importants dommages pour quelque raison que ce soit, son commandant l’exposerait au ‘Marcridam’ et il  fondrait et disparaîtrait instantanément avec quiconque serait à son bord, sans laisser aucune trace pouvant confirmer qu’il ait jamais existé.

Donc de ce point de vue, nous ne pouvons pas être découverts même si un être humain venait à nous voir – c'est-à-dire si nous stoppions notre vaisseau sur une parcelle de terre – parce que la soucoupe se vaporiserait dès que nous serions vus, parce qu’elle ne serait plus visible car le commandant ou son escorteur ou tout marin l’exposerait au rayon ‘Fobormaran’, et elle disparaîtrait de la vue, et le spectateur penserait qu’elle est montée à une vitesse incroyable vers l’espace et la vérité est telle que je l’ai exposée.

De plus, je n’ai pas trouvé d’inventions monumentales sur planète Terre comme nos inventions extraordinaires, la vitesse de nos vaisseaux est celle de la vitesse de la lumière ou trois cent mille kilomètres par seconde, alors que la vitesse plus élevée atteinte par l’invention de l’humanité est de quarante mille kilomètres par heure et seulement pour quelques minutes ; et c’est la vitesse de croisière du vaisseau spatial avec lequel les explorateurs américains sont montés jusqu’à la Lune, et cette vitesse est atteinte lors du retour sur Terre par les explorateurs après qu’ils aient quitté la Lune, et alors qu’ils souhaitent entrer dans l’atmosphère de la Terre à travers l’ouverture spatiale au travers de laquelle ils entrent dans la planète Terrestre; et s’ils manquent cette ouverture, ils perdent leur chemin et errent dans l’Espace pour toujours.

Et maintenant nous devons nous rendre à Hiroshima et Nagasaki afin de présenter un rapport sur les effets de la bombe nucléaire qui a annihilée plus de cent mille personnes en l’année 1945.

Et viendra le jour où nous nous révèlerons aux fils de la Terre, et à ce moment notre empereur nous ordonnera soit de coloniser la Terre soit de la détruire au dessus de leur tête, car ils sont démoniaques et dissolus et rien ne peut égaler l’intensité de leur immoralité.

Et je me rappelle toujours que mon grand-père m’avait informée à propos de l’évènement de la destruction de Sodome et Gomorrhe après que les nouvelles de leur immoralité soient parvenues  au grand-père de notre Empereur – qui était également un Empereur – alors il les mit en garde de se défaire de leur immoralité sinon il les tuerait, et ils n’en tinrent pas compte.

Puis il envoya deux émissaires dans un vaisseau lumineux et les anéantit. Et Lot le vertueux pensa qu’ils étaient deux anges, alors qu’ils n’étaient rien d’autre que des messagers de l’empereur, et ils appartenaient à la lignée des géants. Car les géants sur notre planète rivalisent en taille avec les fils de la planète Terre. »

Et moi, la rose, j’ai vu plus de quinze hommes astraux  alors qu’ils étaient assis sur de petites chaises proportionnelles à leurs corps, et devant eux il y avait de nombreux boutons qu’ils pressaient, et la soucoupe s’éleva et tournoya vers les hauteurs à une vitesse incroyable, pour être ensuite perdue dans les abîmes du lointain. Alors je sus qu’ils se rendaient dans les deux villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki.

Le Troisième Jour de Mon Incroyable Voyage

Mon réveil fut tardif, car ma veille la nuit dernière avait été longue à cause de la soucoupe volante. Et dès que je m’éveillai, je dirigeai mon regard vers le lointain, peut-être pourrais-je voir un arbre ou un oiseau, mais en vain, car j’étais toujours entourée par l’eau et le ciel.

Et je continuais à me déplacer avec sang froid, et comme à mon habitude quotidienne, j’observais des groupes de différentes espèces de poissons et d’animaux marins, et rien d’autre que cela.

Et je me mis à prier mon Créateur, et je dis :

« Oh mon Dieu mon Créateur et Créateur de toutes les créations,

Je suis perdue dans un tumultueux océan à la dimension infinie,

Je voyage en son sein vers une direction inconnue.

Donc après avoir été dans une forêt enchanteresse,

Près d’une collection unique de fleurs tachetées,

Je suis tombée de la main de la belle dans la mer,

Ainsi je suis solitaire et seule,

Sans ami et sans compagnon

A qui parler la nuit,

Pour alléger les fardeaux de cette vie terrestre.

Alors, Oh celui qui m’a créée du néant,

Retournez-moi à nouveau au néant,

Ou laissez-moi atteindre la rive de la sécurité,

Et protégez-moi avec la fontaine de votre soin qui jamais ne dort. »

Et ma longue avancée persista dans l’océan dont la fin est inconnue.

Et les heures se suivaient et elles étaient effacées …

Puis une terrifiante pénombre m’encercla, et avec son occupation commencèrent les signes d’un violent orage, ensuite les nuages proliférèrent, et s’épaissirent, et la bride du vent fut relâchée, et par conséquent il devint dément et sa folie fut horrible.

Puis un dévastateur orage balaya la surface de la mer, dont les vagues étaient terriblement effrayantes !

Les vagues étaient comme des montagnes dominant avec une écrasante tyrannie. Puis les pluies commencèrent à se déverser effroyablement, et les bruits de l’orage s’élevèrent et ils rugirent comme un tremblement de terre destructeur.  Et les cieux s’illuminèrent d’éclairs incessants … et le tonnerre résonnait et grondait avec une intensité qui inspirait la terreur dont les rugissements auraient déchiré les cœurs des titans !

Et les foudres attaquèrent les titans des vagues, puis leurs gémissements hurlèrent bruyamment et leurs lamentations s’élevèrent, et alors les baleines étaient terrifiées, et elles prirent refuge dans la profondeur des fonds, loin de l’atroce furie de la Nature qui jamais ne garde ni ne s’apaise. 

Et au milieu de cette terrifiante circonstance dangereuse, de faibles lumières – qui s’approchaient avec grande difficulté – apparurent à mes yeux. Et alors c’était un grand bateau qui dansait sous la férocité de ces démoniaques terreurs de la nuit !

Et les cloches de l’alarme sonnaient sans cesse, espérant qu’un bateau passerait et se précipiterait à son aide et transporterait ses passagers – dont les cœurs avaient été déchirés – loin de la tyrannie de cet orage qui dominait avec une terrible sévérité.

Et oh l’horreur qui s’ensuivit ! Un puissant coup de foudre tomba sur le bateau, éclatant ses gouvernails comme s’il s’agissait d’un jouet pour enfants ! Et les cris de terreur étaient plus forts que les bruits de l’orage, et ils éclipsaient les pluies qui tombaient de façon torrentielle, et ils tyrannisaient le grondement des foudres acharnées. C’est le son des inconsolables passagers du bateau qui envoyaient leurs appels de détresse dans l’espoir d’être sauvés.

Puis …puis les vagues rebelles les engloutirent et puis ils se retrouvèrent dans les profondeurs de l’océan dont rien ne peut rassasier la gloutonnerie.

Le Quatrième Jour de Mon Déconcertant Voyage

Je ne fus pas capable de dormir du tout, car la catastrophe du naufrage du bateau et la mort de tous ses passagers m’avaient choquée ! Le coup les avait déjà tués, et les destinées tempêtaient à travers eux,  et alors ils étaient dans la profondeur de l’océan – maigre pitance pour les poissons. Oh combien déplorable était leur sort !

Et des dizaines de cadavres flottaient, et parmi eux des filles dans la fleur de l’âge, et des garçons dans la fraîcheur de leur jeunesse, tous … les yeux clos, déjà immobiles immédiatement après que l’orage se soit apaisé, et que les pluies aient cessé de se déverser, et le flash des éclairs ait disparu, et les foudres aient été saisies de mutité, et la rébellion des tyranniques vagues se soit calmée.

La furie de la Nature s’était apaisée après qu’elle ait donné à boire du calice de la mort à ces misérables. Et il semblerait qu’elle les ait pris pour cible – à en juger par l’apaisement de sa fureur après qu’elle les ait détruits, et qu’elle ait pris leurs âmes et qu’elle ait annihilé leur existence.

Et je vis un groupe de belles sirènes, et elles nageaient avec agilité, et elles s’approchèrent là où les corps flottants des morts se trouvaient.

Et chaque nymphe commença à regarder les jeunes, et caressa de ses doigts les corps de ceux qui étaient endormis du sommeil éternel.

Et la plus belle jeune fille de la mer, avec le plus beau visage d’entre tous, s’approcha et scruta le visage d’un jeune homme qui n’avait pas encore atteint ses vingt printemps, et qui enveloppait le corps d’une jeune femme de son âge entre ses bras.

Et il semblerait que c’était son fiancé, car la bague était à son annulaire.

Et elle commença à le pleurer et puis elle dit :

 « Oh beau garçon,

Ta beauté m’a captivée,

Et ta jeunesse m’a ensorcelée,

La mort t’a soudainement frappée,

Et alors tu devins calme sans mouvement en toi,

Après que tu fus énergique et empli de vie,

Et que les aspirations aient peuplées ton sein,

Car ton cœur battait avec l’amour de ta belle.

Vous vous étiez  promis de mourir ensemble,

Et tu la tenais par la taille avant que ton âme ne quitte ton corps,

Et cet enlacement par la taille prouve ta dévotion à aimer ton amoureuse enveloppée.

Oh combien mon cœur se réchauffe pour un jeune qui se fane,

Et la Bonté est assassinée par la Mort impitoyable !

Dieu a uni vos deux âmes en son Paradis dont les attraits et les délices sont éternels. »

Et la jeune fille de l’eau se mit à verser de chaudes larmes pour ce jeune homme et ses compagnons hommes et femmes, et les sirènes la joignirent dans son intense chagrin et agonie à propos de ce terrible désastre.

Et c’était peu de temps avant qu’elle ne me vît, et elle se hâta et me saisit, et me planta dans ses longs cheveux. Puis elle prit le jeune et sa fiancée entre ses tendres mains et elle dit aux nymphes :

« Je descendrai avec ces deux dans mon palace de corail et les placerai dans un creux de corail, recouvert d’herbes humides et d’époustouflantes fleurs de mer, car que sais-je, il se pourrait qu’ils se réincarnent un jour en une sirène – de même que son amoureux qui lui correspond, dans sa prochaine réincarnation. »

Et dans les profondeurs de la mer, là dans le palais de la souveraine des belles nymphes, les deux fiancés furent allongés pour le repos, puis la nymphe tendit sa main et me retira de ses beaux cheveux, et me plaça dans les cheveux de Doris, dont les yeux de paradis étaient clos par la mort.

Et là à cet instant précis, je fus engloutie par une puissante tristesse qui secoua violemment mon corps jusqu’aux tréfonds, et alors je me transformai en une rose flétrie, puis en une rose desséchée.

Car mes feuilles s’asséchèrent de tristesse et de tourment à propos de Doris, cette époustouflante tendre et belle jeune femme aux charmes enchanteurs, Doris que la mort a enveloppée et enlevée, elle avait respiré mon parfum et humé ma fragrance, alors qu’elle se tenait proche de son fiancé sur le pont du bateau, et j’étais au temps de ma floraison et dans la fraîcheur de mon printemps.

Et là je suis perchée sur le pinacle de sa tête, maintenant, une seconde fois, après que mon temps se soit écoulé et que mes feuilles se soient flétries, et que mes veines soient desséchées, et que les jours de mon printemps aient disparu, et que l’impitoyable mort m’ait bercée, tout comme elle a bercé Doris l’enjouée tendre jeune femme qui est allongée pour reposer près de son jeune fiancé défunt, alors qu’elle dort du repos éternel de la mort.

Beyrouth, 9h20 en la nuit du 2 Février 1979.